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Le bruit, grand oublié des éco-quartiers

Publiée le 23 avril 2009 à 08:11 dans Interview développement durable

Alain Le Dosseur, expert acousticien, nous explique de façon pertinente la problématique du bruit ainsi que les carences concernant la prise en compte des nuisances sonores dans les éco-quartiers.

Plan d'un éco-quartier

Diplômé en 1977 à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) dans la 1ère promotion de la filière Acoustique et Mécanique des Vibrations, Alain Le Dosseur a créé en 1979 la société Acoustique Serial avec comme associé Christian Stadler, issu de la même promotion.
L'entreprise pionnière a connu le tout début de l'acoustique moderne en France et son évolution ainsi que sa succession de lois sur le bruit, présentes désormais dans presque tous les domaines. Elle compte aujourd'hui 3 ingénieurs associés et 2 techniciens supérieurs.

Vedura : Quelles sont les nuisances sonores qui peuvent être gênantes pour les habitants d’une ville ? Quelles sont les conséquences de ces nuisances pour les habitants ?

Alain Le Dosseur : L’acoustique a ceci de particulier qu’elle s’applique à de très nombreux sujets. Elle n’est évidemment socialement utile que s’il y a des individus concernés.
Les problèmes de bruit ne sont pas limités à la ville. Sans pouvoir être exhaustif – les différents cas de figure étant infinis – on peut souligner quelques grands domaines où un problème de bruit peut surgir :

  • les voies de transports terrestres (routes et voies ferrées)
  • les bruits de machines
  • les bruits d’origine humaine

Pour préciser les points d’application dans chaque secteur, on peut souligner :

  • que les bruits de coexistence entre une activité industrielle, artisanale ou de loisirs et des lieux de vie et de sommeil sont extrêmement fréquents. La cohabitation entre avoir une activité professionnelle de jour et subir des nuisances la nuit est souvent très mal vécue.

On peut citer comme exemples les bruits issu d’une boulangerie qui travaille la nuit, de camions et groupes de froid d’un entrepôt d’éclatement de marchandises, d’un bar de nuit ou des bruits de comportement dans un immeuble collectif.

  • que le passage d’une nouvelle route (par exemple déviation) ou d’une LGV en rase campagne va perturber très fortement la vie des personnes sur le parcours créé.

C’est ainsi qu’une propriété qui possède un environnement dans son jardin d’un niveau de bruit moyen de 40/45 dB(A) de jour pourra voir monter cette moyenne à 50/55 dB(A) après ouverture d’une nouvelle route et bien sûr plus en niveau de pointe.

Ces niveaux sont entièrement légaux mais posent des problèmes importants à ceux qui les subissent.

Les conséquences des problèmes de bruit pour les populations sont multiples.
Dans les aménagements de grands projets urbains, il existe parfois un volet permettant la quantification des populations exposées à des niveaux de bruit définis par le code de la santé publique (souvent au-dessus de 55dB(A) en termes de LAeq*).

En règle générale, et alors qu’il faudrait également questionner aussi des médecins pour la partie santé, les conséquences du bruit peuvent être :

  • sur la santé physique (troubles du sommeil) et mentale (irritabilité suraiguë de certaines lorsque les causes du bruit sont considérées comme étant intrusives dans la vie des personnes). Il y déjà a eu de trop nombreux morts à déplorer.
  • sur la valeur d’un bien qui peut être affectée par la nuisance permanente (voies) ou erratique (trouble anormal de voisinage) ou par des défauts d’isolement acoustique d’un immeuble (sur l’extérieur comme en interne).

Vedura : D’après vous, quelle place accorde-t-on au bruit dans les projets d’éco-quartiers ?

Alain Le Dosseur : A la lecture de la littérature sur le sujet, il semble que le volet bruit soit très peu développé dans les éco-quartiers.

Parfois, on évoque le terme nuisances de manière assez vague.

Il serait certainement très instructif de questionner directement les responsables de ces projets sur ce thème.


Vedura : Que préconisez-vous pour améliorer la prise en compte des nuisances sonores dans les éco-quartiers ?

Alain Le Dosseur : Il existe des outils informatiques très puissants qui, alliés à l’expérience des cabinets d’acoustique, peuvent éclairer efficacement des choix stratégiques.

La 1ère phase doit consister dans le fait que le pilote de l’éco-quartier (élu de préférence) se saisisse officiellement de la question. Il sera évidemment assisté de toutes les compétences techniques.

La 2ème phase sera de se fixer des objectifs en termes de niveau de bruit en tenant compte de la réglementation européenne, incluant principalement la notion de zones de calme. C’est – à mon avis - d’ailleurs probablement la fonction même d’un éco-quartier que de créer le plus d’espaces qualifiables de "zones calmes" sur l’ensemble à aménager.

La 3ème phase va consister à recenser toutes les principales sources potentielles de bruit et les lieux à protéger dans l’éco-quartier avec le pilote et l’urbaniste (routes, voies ferrées, écoles, salles publiques et privées, habitations collectives et individuelles).

La 4ème phase doit voir s’établir un état des lieux de la zone avant aménagement (par la mesure acoustique et la simulation informatique) et un état acoustique avec le projet installé.

La 5ème phase devra travailler aux modifications du projet d’urbanisme afin de pouvoir respecter les objectifs en terme de bruit et de préconiser les grandes protections à mettre en oeuvre, qu’elles soient physiques comme simplement prises d’un point de vue réglementaire.

Par la suite l’acousticien aura une mission de supervision transversale, en relation avec les concepteurs de chaque sous-ensemble, de manière que les objectifs initiaux ne soient pas dévoyés par de mauvais choix au sein de chaque construction.

Par exemple, il s’assurera, pour le compte du pilote, que soient conformes :

  • les isolements des bâtiments d’habitation, des salles publiques et privées,
  • les objectifs, en termes de niveau de bruit, des équipements de chaque sous-ensemble,
  • les bruits des voies circulées en incluant les protections physiques comme les écrans mais aussi les revêtements de chaussée et les vitesses de circulation,
  • les positionnements des bâtiments publics par rapport aux plans du projet d’ensemble.


Vedura : Quelles sont les solutions de lutte contre les nuisances sonores dans l’aménagement d’un quartier ?

Alain Le Dosseur : Avant de parler de nuisances sonores, il faut se référer aux zonages sans jamais perdre de vue que le but majeur est de faire vivre les gens ensemble, de préférence des citoyens que des individus.

J’évoque souvent la co-existence des sans-cibles (sensibles ?) et des sans-gêne.

Je mets dans la 1ère catégorie les personnes qui n’ont souvent que des buts mineurs dans la vie et sont de ce fait rendus sensibles aux agressions extérieure, dont le bruit est une partie qui peut être essentielle.

Dans la 2ème catégorie je range ceux qui, égoïstement, n’ont rien à faire de l’existence du voisin et qui, à leur décharge, ont souvent tendance – ce que n nous faisons d’ailleurs tous - à minimiser le bruit qu’ils provoquent et ainsi sous-estimer le ressenti du voisinage.

Le bruit en soi n’est donc bien évidemment pas foncièrement synonyme de nuisances mais plutôt de vie, avec toutes les difficultés que celle-ci impose.

Le rôle d’un acousticien – comme d’un aménageur – n’est pas de produire « le silence » mais plutôt de façonner la Maîtrise de l’Environnement Sonore.

On ne parlera donc de nuisances que par excès, et c’est cet excès qui doit être traité par rapport à un référentiel qui, par nature, est fluctuant en niveau global, en niveau par fréquence mais aussi dans le temps.

Il y a 2 grands axes de lutte :

  • la prévention et l’attention particulière lors de l’aménagement d’un quartier comme lors de la construction d’un bâtiment,
  • le niveau réglementaire qui va définir, site par site, des objectifs indépassables et pouvant être strictement attachés à une partie de l’éco-quartier afin d’assurer l’équilibre d’ensemble ; il va de soi que les niveaux de bruit qui ont fait l’objet d’une législation (et il y en a de très nombreux qu’il serait trop long d’énumérer ici) serviront de base à cette approche. On peut cependant insister sur les moins connus : hôtels et lieux musicaux. Les bruits dans les espaces extérieurs doivent faire l’objet de textes à venir.

Il ne faut pas oublier non plus les bruits produits durant les chantiers, tout particulièrement en fin d’aménagement de l’éco-quartier.


Vedura : Quelles sont les solutions pour une bonne isolation phonique d’un bâtiment ?

Alain Le Dosseur : Si l’on prend un bâtiment d’habitation, la bonne isolation sera liée aux objectifs réglementaires (intérieurs ou en façade).

Les isolations de façades sont le fruit d’un calcul dans lequel les distances et le positionnement par rapport aux voies de transports terrestres sont intégrées.

Attention cependant de ne pas sur-isoler les façades, comme on le voit parfois. La conséquence en est que dans ce cas le niveau de bruit dans l’appartement résultant de l’activité extérieure devient très bas. Ainsi, à niveau d’isolation acoustique intérieur égal, on risque beaucoup plus d’entendre ses voisins.

On ne peut vraiment pas donner des solutions toutes faites, celles-ci dépendant du procédé constructif (béton et autres matériaux), des surfaces en jeu (menuiseries, planchers, cloisons, faux-plafonds, …) mais aussi des circulations d’air (simple ou double flux).Une attention très particulière doit être portée aux constructions collectives à ossature bois.

Conclusion d'Alain Le Dosseur :

Les éco-quartiers devraient être des modèles de ce que l’on fait de mieux sur le plan technique et surtout humain.

Ne considérer que les aspects quantitatifs énergétiques serait une faute bien que cette dimension soit, bien sûr, incontournable.

On ne peut faire qu’en incluant des considérations humaines, ou même humanistes.

Les affaires de bruit ne concernent, elles non plus, pas seulement des techniques constructives mais doivent aussi impérativement intégrer les comportements humains, qui s’expriment, selon les cas, avec ou sans matériel.

Une chaîne hi-fi ne ferait rien sans un être humain qui amplifie le son en actionnant plus ou moins un potentiomètre, déclenchant ou non ainsi la colère du voisinage.

* Le LAeq
C'est le niveau acoustique équivalent pondéré A. C'est donc une moyenne sur une période à définir. Le choix de la période est souvent délicat si on veut donner à cet indicateur une signification utile. La pondération A prend en compte une courbe usuelle de réponse de l'oreille humaine.

Leq, T (Physiquement parlant)

C'est le niveau acoustique continu équivalent : Valeur du niveau de pression acoustique d’un son continu stable qui au cours d’une période T à la même pression quadratique moyenne qu’un son fluctuant.

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